Apprendre à apprendre – conférence du 29 mars

Le nouveau socle commun place en deuxième position le domaine méthodes et outils pour apprendre : « les méthodes et outils pour apprendre doivent faire l’objet d’un apprentissage explicite en situation dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire. » Explicite, car l’école s’adresse désormais à des enfants qui n’en connaissent pas forcément les codes. Cet apprentissage peut se faire en classe ou lors des APC, en s’appuyant sur les travaux de la classe. C’est parfait, mais c’est aussi un problème du fait qu’il n’y a pas d’horaire dédiés à cet apprentissage. La distinction entre moments d’apprentissages et moments d’enseignement n’est pas indiquée dans l’emploi du temps, il faut en avoir conscience lorsque l’on prépare sa classe et savoir faire cette distinction.
Si le législateur a fait ce choix, c’est que dans notre monde actuel, l’apprentissage tout au long de la vie est devenu un impondérable. On ne peut plus considérer que la formation des individus s’arrête à la fin de la scolarité obligatoire. Il semble donc opportun et important d’outiller nos élèves afin qu’ils puissent, seuls, continuer d’apprendre.
Comment aborder cet apprentissage ? C’est l’objet de la conférence qui s’est tenue le mercredi 29 mars 2017 salle des Augustins à Hazebrouck où deux cents enseignants des circonscriptions de Bailleul, Hazebrouck et Wormhout se sont réunis autour de David Ducrocq, conseiller pédagogique de la circonscription de Arras 2 qui intervenait au nom de Canopé.

Les conditions de l’apprentissage

Un esprit sain, dans un corps sain !

L’apprentissage nécessite certaines conditions :

Pour bien apprendre, il faut dormir ! Le message est important, le faire passer est également important (un enfant de 6 à 13 ans a besoin de 8 à 10h00 de sommeil).

Pour bien apprendre, il faut être nourri et hydraté : le cerveau a besoin d’eau, dont il est composé à 76%

Pour bien apprendre, il faut exercer une activité physique : c’est aussi une des fonctions des séances d’EPS, et c’est une des raisons pour lesquelles il est opportun de se rendre à l’école à pied.
Pour bien apprendre, il faut se connaître. Des activités telles que la méditation de pleine conscience (cf. Calme et attentif comme la grenouille, de Elise SNEL) ou le yoga des petits favorisent, on le sait, l’apprentissage.

Les adultes accompagnant l’apprentissage

Stress et bienveillance

Le stress des adultes entraîne une poussée d’adrénaline, une hormone utile au cerveau, mais qui peut faire des dégâts majeurs et irréversibles dans le cerveau des enfants. L’accompagnant doit donc être en tout point le plus cool possible.
Le stress inhibe les apprentissages et dégrade les apprentissages.
Les accompagnants gagneront à être calmes, positifs et bienveillants, et l’apprentissage y gagnera tout autant. Un enfant qui mord les autres à 3 ans répond à une stimulation d’agression par l’attaque, ce qui est tout à fait normal, lui dire qu’il est vilain génère un stress chez lui qui empêchera en fait son cerveau de se développer suffisamment pour comprendre qu’il ne doit pas mordre et inhiber ses réactions primaires. La bienveillance ne consiste pas à le laisser mordre les autres !
La bienveillance favorise l’estime de soi, la bienveillance, c’est ne pas voir le verre à moitié vide, mais le verre à moitié plein ; c’est être content d’un 12/20 après une série de 10/20, sans dire que, tout de même, 15/20, c’eût été mieux ; c’est ne pas dire « attention, tu vas tomber ! » à l’enfant qui, par la première fois, à réussi à monter l’escalier.

Psychologie de l’accompagnant

En tant qu’accompagnant, on n’a pas assez conscience de l’effet Pygmalion et de son contraire, l’effet Golem :
L’effet Pygmalion (ou effet Rosenthal & Jacobson) est une prophétie autoréalisatrice qui provoque une amélioration des performances d’un sujet, en fonction du degré de croyance en sa réussite venant d’une autorité ou de son environnement. Le simple fait de croire en la réussite de quelqu’un améliore ainsi ses probabilités de succès. (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Pygmalion)
L’effet Golem est un phénomène psychologique dans lequel des attentes moins élevées placées sur un individu le conduisent à une moins bonne performance1. Cet effet est étudié dans les milieux éducatifs et organisationnels. C’est une forme de prophétie autoréalisatrice. (Ibid.)
L’empathie est une matière enseignée à l’école au Danemark depuis 23 ans, et le Danemark vient juste d’être détrôné de la première place des pays où les gens se sentent heureux. http://positivr.fr/danemark-ecole-cours-empathie-enfant/

Quelques gestes professionnels

Quelques gestes professionnels simples peuvent, si l’on en prend conscience, faciliter l’apprentissage.

Développer et favoriser l’attention

  • Faire fréquemment des temps de synthèse : qu’avons-nous appris ? qu’allons nous retenir ?
  • Annoncer le moment où la concentration doit être optimale. Avant de poursuivre votre lecture et pour comprendre ce qu’est l’attention sélective, faites ce très court test vidéo (les consignes sont en anglais)
  • Il est important de capter l’attention du cerveau, c’est d’ailleurs dommage que les enseignants sachent si peu comment fonctionne ce denier. Le premier geste professionnel de l’enseignant serait d’apprendre à passer une consigne.
  • On peut utiliser les techniques du whole brain teaching consistent à conditionner les élèves à réagir à des consignes simples : Class ? pour obtenir l’attention de la classe entière par exemple.

Le rappel

  • Mettre en place, dans l’emploi du temps, des moments où l’on va faire des rappels de notions. On oublie 97% des informations contenues dans un livre à peine 30 jours après l’avoir lu. La réactivation de ces informations permet de limiter cet oubli. C’est l’objet des activités rituelles telles que le nombre du jour, la phrase du jour, etc.
  • Aider les enfants à se repérer dans la journée, dire ce que l’on va faire, rappeler ce que l’on a fait, permet à l’élève de structurer ses apprentissages.

Le feed-back fréquent

  • Le cerveau a donc besoin de rappels fréquents, mais aussi de faire souvent des erreurs pour progresser. Des applications comme Plickers permettent de créer des quizz quotidiens et rapides sous la forme de QCM sans perdre de temps à mettre en place un contrôle qu’il faudra ensuite corriger et rendre… La réponse est immédiate, son analyse aussi. Sachez que le cerveau, en général, se rend compte que nous sommes dans l’erreur avant même que l’action ne soit terminée. En conduisant, ne vous est-il jamais arrivé de prendre une direction qui vous semblait bonne à l’encontre de votre intuition puis de vous rendre compte que ce n’était pas par là qu’il fallait tourner ? Votre cerveau, lui, s’est rendu compte de votre erreur sans passer par la conscience ; certains mettront cela sur le compte de l’intuition, mais ce n’est que de l’apprentissage.
  •  Par exemple, il semble important de revoir chaque année la règle du a et du à, mais est-ce pour autant nécessaire de la réécrire tous les ans ? Le rappel peut se dispenser de ces temps perdus (en utilisant un cahier pour le cycle, qui permettra aux élèves de revenir sur des choses qui ont été faites les années précédentes). Ceci implique que, idéalement, le travail de l’enseignant soit un travail d’équipe. Pour créer des habitudes et savoir aussi les bouleverser.

Apprendre à se connaître : les apports de la recherche

Nous ne pouvons aller plus loin sans convoquer le travail de quelques chercheurs qui nous permettent un peu mieux de comprendre ce qui se passe dans une boîte crânienne en train d’apprendre :
Antoine de la Garanderie, l’un des pères de la pédagogie différenciées, distingue trois façons d’apprendre : une auditive, une visuelle, une kinesthésique. On est tous un peu des trois, mais on a tous un vecteur de préférence, un profil différent, qui va faire qu’une même consigne sera perçue comme une phrase par les auditifs, comme une image par les visuels, comme une suite d’actions ou de sensations physiques par un kinesthésique.
Howard Gardner évoque et caractérise les 8 formes d’intelligence et invite à les utiliser pour différencier. Ce fut l’objet d’une précédente conférence de M. Ducrocq qui est relatée ici :  https://ien-hazebrouck.etab.ac-lille.fr/2016/11/24/differencier-en-classe-a-partir-de-la-theorie-des-intelligences-multiples/
Catherine Guégen a théorisé l’influence des sentiments sur les apprentissages. Le rôle de l’empathie pour former des individus empatiques.
Steve Masson et Stanislas Dehaene (La bosse des maths, Les neurones de la lecture), leur travail porte sur l’observation d’un cerveau normal en train d’apprendre. Les apports sont nombreux en ce qui concerne la construction du nombre chez l’enfant et les processus mis en place pour l’apprentissage de la lecture.
Edouard Gentaz (les trois sens pour apprendre à lire : l’aire visuelle, l’aire du langage et, ce qui est moins commun, l’aire du toucher),
Olivier Houdé (spécialiste de l’inhibition cérébrale,  comment aller contre notre intuition première). Il théorise l’inhibition comme fonction cérébrale première pour tout apprentissage : pour apprendre, il faut d’abord faire abstraction de ce qui n’est pas essentiel, savoir faire taire cette envie irrésistible d’écouter et d’observer cet oiseau qui chante au sommet de l’arbre de la cour de récré pour porter son attention sur soi en train d’apprendre.
Une synthèse des travaux récents en neurosciences est à lire de ce Hors-Série de Science & Vie : https://www.relay.com/science-et-vie-hors-serie/reussir-a-l-ecole-numero-278-science-581606-39.html
Ces chercheurs disent que :
  • le cerveau humain est plastique et évolutif, il peut être formaté (ce qui bien, mais aussi dangereux). Mais il doit être, pour cela, nourri d’erreurs
  • il est nécessaire de réactiver et d’espacer les apprentissages
  • il est nécessaire de privilégier des méthodes pédagogiques en accord avec le fonctionnement du cerveau : méthodes expérimentales, pédagogie socio-constructiviste, apprentissages conceptuels (ou spiralaires).
  • il faut prendre conscience des temps forts dans les apprentissages (attention, concentration, engagement actif, feed-back, consolidation)
  • il est nécessaire d’être positif, d’éviter le stress
  • il est nécessaire de combiner différents types de supports pour solliciter différentes aires cérébrales
  • il est nécessaire que l’apprenant sache faire preuve d’inhibition, qu’il sache bouleverser ses représentations initiales erronées pour en construire de nouvelles qui soient justes.
À la lumière de ces avancées, ils disent aussi que :
  • les enseignants doivent être en veille sur ces domaines.
  • ils devraient cerner les profils des élèves, par pour les classer les uns par rapport aux autres, mais pour en tenir compte dans les apprentissages.
  • de rendre les élèves conscients de leurs profils pour développer la métacognition. Chaque apprenant devrait pouvoir prendre conscience de comment il apprend.
  • d’informer les élèves sur le fonctionnement du cerveau pour l’apprentissage.
  • de bien convaincre les élèves que le cerveau est identique pour tout le monde et que tout le monde peut réussir à l’école.
  • d’impliquer les parents dans la co-éducation : quelles stratégies d’apprentissages mettre en œuvre pour mémoriser une leçon ? Comment aider mon enfant qui apprend à lire ?
  • de réfléchir aux contenus de l’APC.

Il existe sur le net des tests pour permettre à chacun, enseignant ou élève, de se situer (auditifs, visuels, kinesthésique ?), comme le test de Giordan, ou de connaître ses différentes intelligences. L’apprenti devrait avoir conscience de la façon dont, lui, il apprend.

Comment faire ?

Quelques constats

La parole magistrale est trop importante dans le temps de classe.
La trace écrite témoigne des travaux de la classe (de 3 lignes en CP à 15 lignes en CM2). Elle implique une forme d’apprentissage qui s’approche du “par cœur”.
Les évaluations, bien souvent écrites, conformément aux traces (écrites), ne sont pas conçues pour tous.
Les formes traditionnelles d’enseignement correspondent aux élèves que l’on qualifie de scolaires mais pas à tous. Si notre système éducatif a du mal à prendre conscience de cela, c’est que, bien souvent, les enseignants sont les anciens bons élèves !

Mais que faire alors ?

Varier les formes de traces écrites et d’évaluations visuellement

  • Mettre un peu de visuel dans les traces écrites : ne pas se tromper de police d’écriture, abandonner le Times New Roman et privilégier des polices lisses et plus lisibles comme Arial ou Lexie Readable)
  • Un petit logiciel (qui est en fait une extension de Open Office ou Libre Office) permet de mettre en forme d’un seul clic tout un texte en coloriant chaque syllabe d’une couleur, en séparant les syllabes d’un même mot, en grisant les lettres muettes, ou en espaçant les mots… il s’agit de Lire Couleur qui devrait être installé sur toutes vos machines et mis à disposition de chaque AVS. Le lien vous donnera de plus amples informations sur son fonctionnement.
  • Mettre en valeur le visuel dans les traces écrites : apprendre à utiliser le surligneur fluo. Voilà un outil intéressant mais que peu d’élèves savent réellement utiliser.
  • Utiliser les codages visuels issus de la grammaire Montessori (matériel Montessori) : triangle pour le nom, rond rouge pour le verbe, pont vet pour la préposition…
  • Utiliser les cartes mentales.
  • Les croquinotes ou les sketchnotes.
  • Les schémas ou les dessins annotés. Cartes de géographie, schémas logiques…
  • Utiliser un dictionnaire visou-sémantique pour retenir les particularités orthographiques d’un mot. (cf. www.gre10.ch pour le dictionnaire visu-sémantique Dessiner-pour-apprendre-lorthographe-MG-dyslexie-dysorthographie)
  • Les « flash cards » pour s’entraîner à mémoriser, exemple des cartatoto ou cartes recto-verso présente dans la démarche Ermel. Anki est un logiciel qui permet facilement de se créer ses propres flash cards ou d’utiliser celles que d’autres enseignants ont créés pour eux mais qui les ont partagées.
  • Aller rechercher les planches Rossignol dans le grenier de l’école ou sur Internet (voir le site mon histoire en CE1) ou utiliser la photo (cliophotos.org).

Utiliser les sons

On connait tous le Mais où est donc Ornicar, on le tient et on le retient, car c’est sonore, c’est très facile à retenir.
Utiliser des logiciels de synthèse vocale, comme VoxOofox, pour réaliser les traces écrites orales (le texte dactylographié est lu par une voix de synthèse et converti en fichier son .mp3 qui peut être ensuite donné aux élèves par le biais du site de l’école ou sur clé USB).
Utiliser les QRCode pour amener du son à la maison. Cela permet de sonoriser les traces écrites en y ajoutant un code qui sera lu par une tablette ou un smartphone puis transformé en son ou en image. Voir les médiafiches de l’académie de Créteil pour la mise en œuvre, c’est tout simple, pas besoin d’être un geek.

Utiliser les gestes

Réussir en…,  la collection de RETZ qui utilise des gestes pour apprendre la grammaire, des mouvements, proches de la théâtralisation, qui aideront les enfants kinesthésiques à se souvenir que le sujet et le verbe s’accordent.
Le jeu des cadenas et des clés : sur les porte clefs, des constellations, sur les cadenas, des nombres. Le but du jeu, trouver pour chaque cadenas la bonne clef.
Utiliser le jeu : cf. site de la circonscription de Boulogne-sur-Mer (Ici on joue).
Donner de l’interactivité aux traces finales, avec les lapbooks.
Les solutions sont nombreuses, encore faut-il avoir pris conscience de l’importance de varier les supports pour s’adresser à tous. Pour chaque support, c’est le maître qui apporte l’idée : il amène la première carte mentale, le premier lapbook, etc. Rapidement, les élèves s’empare de celui-ci et en produisent d’autres qui seront les leurs, c’est à dire adaptés à leur façon d’apprendre, car plus le support est personnel, plus il sera utile.
Retrouvez ci-dessous le diaporama utilisé par David Ducrocq qui développe les idées synthétisées dans cet article. La dernière diapo comporte un lien vers le site de M. Ducrocq qui vous permettra d’aller encore plus loin dans cette démarche nécessaire pour une école qui se voudrait au service de l’équité scolaire.
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