Enrichir l’apprentissage des nombres au C2

Le texte qui suit est la synthèse des échanges qui se sont tenus lors du premier temps de la formation Enrichir l’apprentissage des nombres au cycle 2 en classe virtuelle le mercredi 20 janvier 2021.

Qu’est-ce qu’un système de numération ?

Activité introductive

Imaginez que vous ayez à inventer un système de numération qui n’utilise que 4 signes : $, £, * et §. Ce système devrait permettre de coder toutes les quantités, mais aussi de lire chaque nombre : à un code ne correspondrait qu’un seul nombre et un même nombre n’aurait qu’une seule écriture possible. De plus, ce système ne tricherait pas avec les règles d’écriture qu’il s’est fixé au départ.

La plupart d’entre vous, pour ne pas dire la totalité, ont proposé un système comme celui-ci : à chaque signe correspond une puissance de 10 : * = 1 , § = 10, £ = 100 et $ = 1 000. Pour écrire un nombre, on reproduit autant de fois le signe que l’on trouve la puissance de 10 dans ce nombre. Poursuivons notre exemple, pour écrire :

  • 5 à *****
  • 56 ১§§****** ou bien ******§§§§§ (l’ordre n’a pas d’importance)
  • 667 à ££££££§§§§§§*******
  • 9 976 à $$$$$$$$$£££££££££§§§§§§§******

Mais on voit déjà les limites de ce système, car pour écrire 10 000, ou 20 000, il faut aligner 20 fois le signe $ (ou inventer un nouveau signe pour représenter 10 000, ce qui ne répond pas à la consigne). En plus, ce n’est pas très pratique car il faut à chaque fois compter le nombre de signes… C’est long !

D’autres ont proposé une écriture plus économique, ils ont attribué à chaque signe les mêmes valeurs (des puissances de 10), mais les utilisent de manière multiplicative :

  • 20, s’écrit **§ (qu’il faut alors lire 2 x 10)
  • 543, s’écrit *****£****§*** (qu’il faut lire 5 x 100 + 4 x 10 + 3)
  • 9 999, s’écrit *********$*********£*********§********* (9 x 1000 + 9 x 100 + 9 x 10 + 9)
  • 8 007, s’écrit ********$*******

Mais avec ce système aussi on se retrouve coincé, comment écrire 10 000 ? **********$ ou §$ (10 x 1 000) ? 1 000 peut s’écrire $, ou bien §£ (10 x 100), ou encore **********£ (10 x 100). Plusieurs écritures pour une même quantité, la consigne n’est pas respectée.

Certains enfin, proposent une écriture proche de l’écriture en chiffres romains, où le même symbole désigne une addition ou une soustraction selon qu’il est placé devant ou derrière un autre : *§ = 9 (10 – 1).

Tous ces systèmes de numération sont des systèmes additifs, comme notre système : des symboles, les chiffres, désignent des groupements (ici, des puissances de 10). Un même nombre peut avoir plusieurs écritures, comme le 4 qui, en numération romaine, peut s’écrire IIII ou IV. En plus, ils ne permettent pas d’écrire tous les nombres.

Après une deuxième phase de recherche, votre intelligence vous aurez sans doute amenés à proposer un système de base 4 où chaque signe désigne une quantité différente et où la position du signe dans l’écriture indique le nombre de paquets de 4. Avec ce système, on peut écrire et lire tous les nombres :

0

à

*

 

4

à

£* (1 paquet de 4 et rien)

 

8

à

$* (2 paquets de 4 et rien)

1

à

£

 

5

à

££ (1 paquet de 4 et 1)

 

9

à

$£ (2 paquets de 4 et 1)

2

à

$

 

6

à

£$ (1 paquet de 4 et 2)

 

10

à

$$ (2 paquets de 4 et 2)

3

à

§

 

7

à

£§ (1 paquet de 4 et 3)

 

11

à

$§ (2 paquets de 4 et 3)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Etc.

Avec ce système, une seule écriture ne correspond qu’à un nombre :

Le nombre §£$ signifie 3 paquets de 4×4, 1 paquet de 4 et 2, c’est à dire 54 (dans notre écriture)

La position du signe indique le nombre de puissances de 4 :

Le nombre §*** = 3 x 43 + 0 x 42 + 0 x 41 + 0, c’est à dire 192 (dans notre système d’écriture)

Dans ce système, les signes ne représentent plus les puissances de la base, mais le coefficient multiplicatif des puissances de la base, l’opération implicite n’est plus l’addition mais la multiplication et l’ordre des signes est fondamental, puisque c’est de leur position que dépend la lecture. C’est pourquoi on dit que c’est un système positionnel.

Frédéric Paris vous a présenté ensuite un système encore plus simple que celui-ci, puisqu’il n’utilise que deux signes (l et m) mais qui permet néanmoins d’écrire tous les nombres : c’est le système binaire utilisé par les ordinateurs (qui l’écrivent, eux, avec des 1 et des 0, deux signes, donc. C’est binaire).

En résumé

Notre système de numération indo-arabe est donc : positionnel et de base 10 (puisque nous disposons de 10 signes pour l’écrire).

Pour celles et ceux qui se demanderaient pourquoi tout ceci a-t-il inventé et comment. Je conseille cette petite vidéo : http://www.lumni.fr/video/petits-contes-mathematiques-le-nombre ainsi que celle-ci pour découvrir qui a inventé le zéro et pourquoi cette toute petite invention a tout changé : http://www.lumni.fr/video/petits-contes-mathematiques-le-zero

Les obstacles des élèves

Nous disposons donc d’un système très efficace et très simple pour écrire et lire tous les nombres, pourtant, les élèves ont parfois du mal à se l’approprier. La preuve en image :

 

Cette élève de CE1 pense avoir bien écrit le nombre « cent-quatre-vingt-trois ». Son voisin, pour écrire le nombre « cinq-cent-trente-huit » propose, lui, 5138… Voilà des erreurs typiques et fréquentes. D’où vient le problème ?

Deux systèmes de numération

Le problème est qu’il y a deux systèmes de numération qui cohabitent : un système écrit, que l’on vient de décrire, et un système oral.

Système de numération écrite et système de numération orale n’obéissent pas aux mêmes règles. Pour comprendre les erreurs des élèves, ce qui fait obstacle à la compréhension de chacun de ces systèmes, il convient d’en analyser les différences et de s’appuyer sur leurs ressemblances.

C’est la didacticienne des mathématiques Stella Baruk[1] qui en parle le mieux. Laissons-lui la parole (la vidéo dure un peu moins de 20 minutes et est passionnante, selon vos dires) :

https://www.reseau-canope.fr/mathematiques-stella-baruk/video/la-numeration/introduction

Vous pourrez retrouver le matériel utilisé par Stella Baruk ici, sur le site d’Ipotâme : https://drive.google.com/file/d/0BzbJCJQeBHwSNUdTU3hvQ24yNVU/view

L’écrit n’utilise que 10 signes, l’oral, plein de mots… La numération écrite est algorithmique et régulière, la numération orale ne permet pas toujours de percevoir les régularités. Certains mots que l’on prononce pour dire le nombre ne s’écrivent pas, d’autres s’écrivent, mais ne se disent pas :

Stella Baruk, propose une progression qui permet de contourner les irrégularités de la numération orale, mais surtout, elle propose de les enseigner explicitement, ces irrégularités, en s’appuyant sur les régularités que l’on peut lire, voire, entendre et donc savoir. Car la difficulté, pour l’élève, n’est pas tant de comprendre comment fonctionne le système de numération écrite, que de savoir faire des liens entre celui-ci et le système de numération orale.

Le chercheur en didactique des mathématiques Éric Mounier s’est également penché sur cette question et propose, lui, une autre solution[2]. Elle consiste en un travail systématique sur ce qu’il appelle La Grande Comptine numérique et la Petite Comptine numérique. La Grande Comptine (GC), c’est celle que l’on entend quand on récite les dix-neuf premiers nombres, la Petite Comptine (PC), c’est celle que l’on entend quand on récite les 9 premiers nombres. Pour réciter la suite des nombres jusque 100, on utilise tantôt la GC, tantôt le PC entre lesquelles on intercale les mots-nombres repérants qui sont les noms de dizaines (dix, vingt, trente, quarante, etc.) Il préconise donc d’enseigner aux élèves ces deux comptines différentes et de leur faire repérer à quels moments on utilise la PC (après vingt, après trente, après quarante, et après cinquante) et à quels moments on utilise la GC (après zéro, après soixante et après quatre-vingts).

Pour formaliser tout ceci et le rendre accessible aux élèves de cycle 2, il a imaginé une bande numérique où les couleurs ne différencient pas les dizaines, comme habituellement, mais la comptine que l’on utilise, jaune, orangé pour la GC ; vert, bleu, violet pour la PC :

On retrouvera ce document dans les ouvrages de la collection Mon année de Maths de Marie-Sophie Mazollier, Éric Mounier et Nathalie Pfaff, aux éditions SED. Avec ce matériel, pour lire le nombre 72 écrit en chiffre, on demande à l’élève de rechercher 72 (« sept dizaines et deux unités ») sur la frise numérique puis on remonte jusqu’à la première case de la même couleur (le repérant « soixante »), on compte alors les cases en utilisant la grande comptine, pour arriver à « soixante-douze ».

Des chiffres qui « disent la vérité » et des chiffres qui désignent des groupements

Lorsque j’écris « Il y a 37 bonbons », le 7 désigne bien 7 bonbons, c’est un chiffre qui « dit la vérité » comme l’exprime Stella Baruk, mais pas le 3. Ce trois-là, il désigne en fait 3 paquets de 10 bonbons, ce qui n’est pas la même chose ! Comprendre qu’un même symbole peut désigner tantôt 3 objets, tantôt « trente » objets, tantôt « trois-cents » objets est aussi source d’obstacle. Ajoutez à cela que, pour beaucoup d’élèves de cycle 2, le sens de lecture n’est pas toujours bien stabilisé, qu’ils lisent 12 comme 21…

Cela nous amène au problème du « chiffre des… » et du « nombre de… »

Voici deux petites astuces pour aider les élèves à différencier « nombre de … » et « chiffre des … » dizaines, centaines, milliers, etc. peuvent se révéler utiles à conditions que l’on enseigne aussi à l’élève à progressivement s’en passer. Cette petite affiche (photographiée dans la classe de cycle 3 de l’école de Lynde) utilise un moyen mnémotechnique : le point du i de chiffre (en vert) indique que l’on recherche un élément ponctuel (un chiffre), alors que le rond du O de nOmbre, indique que l’on cherche un groupe de plusieurs éléments, que l’on peut entourer, c’est un nOmbre. Sur la seconde photo, prise à Oudezeele dans une classe de cycle 3, ce sont deux flèches aimantées que l’on peut utiliser sur le tableau de numération afin de trouver le nombre de… dizaines, centaines, milliers… Selon l’endroit où on la pose dans le tableau de numération.

Quelles activités mettre en place ?

Pour écrire les nombres, on réalise des échanges (10 dizaines contre 1 centaine) et des groupements (par dix).

Lors de l’animation, vous avez eu à analyser des activités que nous vous avons présentées. Vous les retrouverez, ainsi que votre analyse, ici : https://padlet.com/pierre_snaet/eywdvmamlexxxu8k

Des activités de groupement

Ce sont des situations telle que la situation 1, Combien de bûchettes ?, où il s’agit, pour les élèves, de dénombrer d’importantes collections (car nous avons vu plus haut que les obstacles venaient à partir du moment où l’on avait à écrire de grandes quantités).

Des activités d’échange

Ce sont des situations comme celles de la situation 2 Le jeu de la banquière où il s’agit de réaliser des échanges de valeur. Les abaques se prêtent bien aussi à ces situations. Elles permettent de comprendre que la valeur d’un code ne dépend pas forcément de sa quantité, et, par extension, que la valeur d’un chiffre dépend de sa position… Frédéric Paris vous invite à jeter un œil à ce site qui en propose beaucoup : https://micetf.fr/

Des activités qui permettent de repenser les groupements par rapport aux échanges et les échanges par rapport aux groupements

Sur le Padlet, c’est la situation 4, La rançon de Rantanplan, qui permet aux élèves de s’entrainer à lire le nombre de… (dizaines, centaines…) dans le nombre. 200,00 €, c’est 20 billets de 10,00 €, on le voit dans le 200.

La situation Les cahiers (situation 3) s’y prête également, une fois que l’on a dépouillé la situation de son habillage manipulatif.

En résumé

Selon le chercheur Denis Butlen, les situations qui permettent à l’élève de comprendre le nombre et le système numérique sont au nombre de 7 :

  1. Les situations d’échange (pour apprendre à écrire en chiffres)
  2. Les situations de groupements (pour dénombrer de grandes quantités)
  3. Les situations qui amènent à penser les groupements par rapports aux échanges et les échanges par rapport aux groupements
  4. Les situations de découverte de l’algorithme de la numération (travail sur les compteurs, sur la bande numérique)
  5. Les situations d’exploration des règles de la numération orale (cf. Stella Baruk)
  6. Les situations de passage oral → écrit et écrit → oral
  7. Les situations pour faire des liens entre les différentes unités de numération.

Pour le prochain présentiel, nous allons vous demander de chercher dans votre manuel de mathématiques si on y retrouve ces sept types de situations d’apprentissage et dans quelles proportions.

Références

Pour cette animation, nous avons donc convoqué les auteurs suivants :

Enfin, nous ne pouvions pas passer sous silence la parution du Guide pour enseigner les nombres, le calcul et la résolution de problèmes au CP qui est paru en décembre 2020. Voici ce qu’il préconise dans le chapitre I appelé Quels systèmes de numération enseigner, pourquoi et comment ? :

  • Il existe deux systèmes de numération dont il convient d’enseigner les principes propres à chacun. Les mots et les chiffres sont les signes constitutifs de chacun d’entre eux. “Quarante-deux” n’est pas “42”
  • Deux grands types d’itinéraires permettent d’enseigner les systèmes. En amont, la dizaine est à concevoir comme synonyme de “dix” et comme nouvelle unité de numération. Deux procédures de dénombrement sont à enseigner de manière explicite : l’une permet d’obtenir le nom d’un nombre sans nécessité de connaître son écriture chiffrée, l’autre permet d’obtenir l’écriture chiffrée du nombre sans nécessité de connaître son nom.
  • Les unités de numération servent à désigner des quantités et permettent de travailler l’aspect décimal et l’aspect positionnel de la numération.
  • Les comparaisons de collections peuvent servir d’appui à la construction des deux systèmes de numération. Les connaissances sont réutilisées dans diverses activités : représenter, comparer, ranger, encadrer, intercaler des nombres, calculer.