Le présent article résume l’animation pédagogique qui s’est tenue en janvier 2019 à l’école de Boeseghem. Elle était présentée par Anne-Sophie Heyman et Pierre Snaet et précédée d’un sondage à destination des participants.
L’évaluation et vous ?
Quelques questions pour savoir quand, comment et qu’évaluer en étude de la langue au cycle 3.
On remarque que seuls 9% des enseignants interrogés disent ne pas vraiment aimer évaluer leurs élèves. A l’échelle de notre échantillon, cela ne représente qu’une personne. On peut imaginer que c’est également celle pour qui évaluer représente un stress pour les élèves.
Pour beaucoup, l’évaluation sert soit à positionner les élèves, à voir où ils en sont (par rapport à une norme donc), soit à constater les progrès, les acquis, les compétences des élèves (par rapport à des connaissances et des compétences déjà acquises). Nous verrons que l’évaluation sert bien ces deux buts, mais selon que l’on poursuive l’un ou l’autre, la posture de l’enseignant n’est pas la même.
Ici, la réponse est franchement NON, un seul enseignant a répondu qu’il utilisait les écrits produits dans toutes les disciplines pour évaluer les connaissances et compétences de ses élèves en maîtrise de la langue.
Le questionnaire a aussi permis de révéler, mais est-ce une révélation ?, que pour beaucoup l’évaluation sert les apprentissages et que la première personne concernée par les résultats de l’évaluation, c’est l’élève lui-même.
L’évaluation par contrat de confiance ou comment lutter contre la constante macabre ?
Puis, Anne-Sophie Heyman a présenté succinctement les travaux d’André Antibi que l’on peut entendre ici :
Les enseignants présents ont fait la remarque que le discours de M. Antibi semblait daté (il a été prononcé en 2017), qu’aujourd’hui, l’évaluation n’est plus ce qu’il décrit… Tant mieux s’ils ont raison ! Néanmoins, les préconisations qu’il formule dans le terme EPCC – pour Evaluation Par Contrat de Confiance – méritent d’être observées. Elles permettent en effet de faire réussir tous les élèves, même ceux dont on pourrait attendre qu’ils se retrouvent au début de la “courbe de Gauss” des résultats de la classe.
Comment cela fonctionne-t-il ? De manière très simple :
L’évaluation par contrat de confiance ne cherche pas à piéger les élèves : avant l’évaluation, ils disposent de la liste précise des questions qui leur seront posées. Avant l’évaluation toujours, il leur est possible, lors d’une séance de questions/réponses animée par le maitre, de tester leurs connaissances, leurs compétences. Enfin, l’évaluation est pour eux sans surprise, car ils en connaissent déjà le contenu. Ce système récompense effectivement les efforts des élèves qui se seront appropriés ainsi tous les points du programme évalué. Là où il est adopté, les notes sont bonnes et la courbe des résultats de la classe tend vers l’infini.
Pour en savoir plus sur André Antibi, la constante macabre, et l’EPCC, je vous invite à (re)lire cet article publié en 2015 sur ce site : De la constante macabre à l’évaluation par contrat de confiance ou à consulter le site du MLCLCM (mouvement de lutte contre la constante macabre), ou encore l’ouvrage d’André Antibi La constante macabre ou comment a-t-on découragé des milliers d’élèves ?
Le problème, quand on évalue l’étude de la langue, c’est…
Cette démarche est-elle adaptée à l’étude de la langue ? Nous essaierons de répondre à cette question. Auparavant, il convient de définir ce qui fait problème quand on parle d’évaluation en étude de la langue. Nous nous sommes appuyés pour cela sur les quatre textes suivants :
Evaluer les écrits, pourquoi ? Comment ? Dans ce texte écrit par le groupe EVA en 1991, il est notamment question de l’évaluation des connaissances orthographiques des élèves en situation de production d’écrits. A l’époque, on considérait que la maîtrise de l’orthographe et de la grammaire n’étaient pas vraiment prioritaires, en tout cas, qu’elle ne devait pas primer sur la liberté d’expression (écrite) des élèves.
Evaluer l’orthographe en situation fonctionnelle d’écriture (Eveline Charmeux) qui donne quelques préconisations quand à l’évaluation de l’orthographe des élèves quand ils écrivent librement.
Les différentes dimensions de la maitrise de la langue et leur évaluation (Elisabeth Bautier). Dans ce texte universitaire Elisabeth Bautier analyse les résultats des évaluations à l’entrée en sixième et précise quelles sont les différentes dimensions de la maitrise de la langue (patrimoniale, scolaire, communicative…) Elle dit aussi qu’il faut savoir laquelle de ces dimensions est évaluée.
Synthèse de textes à propos de la dictée. Ce texte convoque plusieurs auteurs autour de la dictée, outil d’évaluation traditionnel de la maitrise de la langue mis en valeur par des générations d’enseignants et très récemment par notre institution.
En faisant se croiser les quatre textes, il est possible de définir, à l’instar d’Eveline Charmeux, deux objets qui sont évalués en maitrise de la langue : les connaissances sur la langue et la maitrise de la langue en situation d’écriture.
La langue française, en effet, est un outil, comme celui-ci :
Le marteau est un outil percuteur, servant à aplatir une plaque de métal ou à enfoncer un clou, il agit par inertie, augmentée par la longueur du manche et celle du bras manipulateur. Il est composé d’un engrois/angrois, d’un œil, d’une table et d’une panne qui en constituent la tête, et d’un manche. Il remonte, comme le couteau, à la plus ancienne préhistoire.
Décrire cet outil comme nous venons de le faire, éventuellement savoir comment s’en servir, est une chose. Construire une cabane, un meuble ou tout autre objet pour lequel on aura à utiliser un marteau en est une autre.
Ainsi, pour qui veut évaluer l’étude de la langue, il faudra bien distinguer ces deux aspects de la discipline.
Evaluer les connaissances sur l’outil
Toujours selon Eveline Charmeux, évaluer les connaissances des élèves sur l’outil “langue écrite” ne se fait pas en situation d’écriture (d’où son aversion pour la dictée, quand elle utilisée à cet effet). L’évaluation doit en effet se débarrasser de toutes les variables indépendantes de l’objet évalué. Elle rejoint André Antibi sur ce point.
Les activités de justification des graphies
On peut alors proposer aux élèves, non pas d’écrire, car la tâche est trop complexe et les variables trop nombreuses, mais plutôt d’observer le fonctionnement de la langue et de justifier les graphies rencontrées.
Par exemple, à partir du texte suivant, demander aux élèves de justifier la présence du -s à la fin des mot soulignés
Le renard se fixe parfois dans les grands parcs à végétation épaisse, au milieu des villes.
Un QCM peut servir à simplifier encore la tâche de l’élève en situation d’évaluation (et celle du correcteur, en situation d’épuisement professionnel) :
Pourquoi un -s au mot grands
Le mot est précédé d’un déterminant pluriel Le mot appartient à un groupe nominal pluriel Le mot est un verbe précédé de Je, ou Tu, ou Nous, ou Vous Le mot s’écrit toujours avec un –s
Cette activité de justification des graphies a d’ailleurs été utilisée par le chercheur Thierry GOEFFRE pour écrire une thèse intitulée : Profils d’acquisition de morphographie au cycle 3. Vers une caractérisation des parcours des élèves ? – Repères, 49 – 2014, 147-168
Pour celle-ci, il a suivi le même groupe d’élèves pendant trois années en leur proposant à chaque fois la même dictée et une activité de justification des terminaison en [é] dans un texte bref. Il a ensuite analysé et typologisé leurs productions (en voici une à titre d’exemple).
Le fruit du travail de T. Geoffre est un classement des élèves en trois profils établis en fonction de la qualité de leurs justifications. Trois élèves type, que j’ai appelé Paul, Léa et Thibault et dont les justifications s’appuient à chaque fois sur des connaissances plus ou moins abouties et plus ou moins stables. Ce que l’on peut dire de cela, c’est que plus l’enfant, comme Paul, s’appuie sur les procédures morphosyntaxiques (c’est à dire des justifications et des procédures qui concernent l’organisation des mots de la langue dans la phrase), moins il s’appuie sur le sens du texte, plus son orthographe est stable et son évolution constante.
Chaque enseignant peut reconnaitre dans ce tableau ses propres élèves. Bien sûr, ces cloisons ne sont pas étanches et un Thibault, fort heureusement, peut devenir Paul ! De même qu’un Paul peut parfois emprunter les justifications de Léa.
Cette activité nous invite à évaluer non pas en recueillant et en analysant les erreurs que commettent les élèves en situation de production d’écrits, mais en recueillant l’analyse qu’ils font de la syntaxe et de l’organisation de la langue.
Des activités de correction et de transposition
La phrase du jour
Chaque jour, les élèves ont à analyser collectivement une phrase dont on sait qu’elle est fautive.
Il en existe des centaines issues de la vie réelle sur le site Bescherelle, ta mère !
Puis, chacun, individuellement, propose une réécriture correcte de la phrase. Les débats qui s’en suivent pour décider de comment écrire tel ou tel mot sont riches d’enseignements pour le maitre qui n’a qu’à récolter les conceptions des élèves.
Comme il s’agit d’une activité rituelle, les élèves prennent vite l’habitude de justifier les graphies et acquièrent ainsi le vocabulaire adéquat. Tout l’art de l’enseignant sera de les amener, progressivement, à user de justifications de plus en plus morphosyntaxiques (c’est un verbe, c’est au pluriel, c’est le sujet de…) plutôt que morphosémantiques (ils y en plusieurs, c’est “ils” qui le fait, etc.)
Les activités de transposition
Elles sont autant de situations qui permettent au maitre d’évaluer les connaissances des élèves quant au fonctionnement de la langue, puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler de situations de production d’écrit (il n’y a ni invention ni besoin de communication), mais bien d’occasions de faire fonctionner le système linguistique et d’en observer les rouages.
Evaluer en situation fonctionnelle d’écriture
Que font les élèves du marteau qu’on leur a confié ?
Les choses se corsent souvent lorsqu’il s’agit, pour les élèves, de produire un écrit qui soit bien orthographié.
Il ne faut pourtant pas ignorer cet aspect de la maitrise de la langue : connaitre le nom des différentes pièces qui composent le marteau et ne jamais pouvoir l’utiliser pour construire quelque chose, quelle ineptie !
Chaque production d’écrit, quelle que soit la discipline, peut permettre d’évaluer les élèves en maitrise de la langue. A condition, là encore, que cette évaluation soit indépendante du reste. On peut le faire en attribuant une note d’orthographe en plus de la note disciplinaire concernée : un résumé d’histoire = deux évaluations : une évaluation en histoire et une évaluation en orthographe. Car il est important que les élèves comprennent que le souci orthographique est un souci constant, que l’on n’écrit rien dont on ne soit pas sûr.
Pour cela, il est important, au moins jusqu’au CE2, de ne proposer des situations d’écriture qu’en binômes, car les échanges permettent de verbaliser des stratégies pour éviter les erreurs.
Dans le même ordre d’idée, permettre, même en situation d’évaluation, le recours aux référents de la classe (tables de conjugaison, etc.) c’est permettre aux élèves de réussir à écrire correctement. L’autonomie, ce n’est pas de savoir se passer des référents, c’est savoir reconnaitre les situations où ils sont utiles ! Et il ne faut pas oublier que ce ne sont pas les connaissances sur le marteau que l’on cherche à évaluer ici, mais bien la façon dont l’élève l’utilise.
A propos de la dictée
Je ne peux que vous recommander la lecture de cet article d’Eveline Charmeux qui fait descendre la traditionnelle dictée de son socle : https://www.charmeux.fr/dictee.html
Mais alors, d’autres dictées sont possibles, qui permettent d’identifier les erreurs les plus fréquentes. Sachant que, pour que l’évaluation soit formative, il faut que l’élève se rende compte de son erreur, sache à quelle catégorie elle appartient, et enfin sache retrouver les outils qui permettront de l’éviter.
Les erreurs des élèves peuvent être triées dans quatre grandes catégories :
- Les erreurs phonographiques : anfans, famme,
- Les homophones lexicaux : pain/pin
- Les homophones grammaticaux : jouer/joué
- Les erreurs d’accord
D’autres typologies des erreurs existent, comme celle de Nina Catach, mais elles sont tellement complexes qu’elles nous semblent difficilement exploitables pour le premier degré. L’enseignant éclairé pourra néanmoins s’y référer s’il veut affiner l’analyse des observations menées en classe.
Quelles sont ces autres dictées, outre celles citées par Eveline Charmeux (dictée préparée, dictée dirigée, dictée négociée…) ? On peut citer :
La twictée
La twictée, dont nous avons déjà parlé sur ce site, est une contraction de la dictée et du nom du réseau social twitter. En pratique, un collectif d’enseignant prépare une “twictée” et la propose à des binômes de classes. Chaque classe envoie sa production, négociée en groupe, à sa classe miroir (qui fait de même), et chaque classe corrige ensuite la production de sa classe miroir. Via le réseau social twitter. L’intérêt c’est que la classe qui corrige ne propose pas LA correction, mais des “twoutils” qui sont des outils qui permettent d’écrire correctement la twictée. Ces twoutils utilisent les balises (hashtags) propres à la twictée, ce qui correspond en fait à catégoriser les erreurs des élèves et à les renvoyer directement vers le twoutil adapté (ou la règle d’orthographe correspondante, si l’on préfère).
Le diaporama ci-dessous vous permet d’en savoir plus sur cette communauté d’enseignants très active et qui obtient de bon résultats. Il contient aussi les liens pour la rejoindre.
[contentblock id=19 img=iframe.png]Orthophore
C’est un outil en ligne développé par l’Académie de Lille qui permet de faire des dictées en ligne. Les dictées proposées sont des textes à trous. Jusqu’ici rien de nouveau. Sauf que la correction propose aux élèves une catégorisation de leurs éventuelles erreurs, comme le montre la capture d’écran ci-contre, ce qui est un avantage non négligeable tant la tâche de correction peut être fastidieuse. Orthophore, ceux qui s’en privent ont tort !
On peut retrouver cet outil ici : http://orthophore.ac-lille.fr/
Les gestes évaluatifs de l’enseignant
Pour aller plus loin, nous nous sommes penchés sur le travail d’Anne JORRO qui s’intéresse à ce qu’elle nomme “l’agir enseignant”, aux multiples gestes professionnels qu’effectue un enseignant lorsqu’il évalue.
Son travail se base sur l’observation des enseignants dans les classes. Selon elle, deux postures sont possibles : celle du “contrôleur” qui évalue par rapport à une norme attendue, et celle de “l’ami-critique”, qui évalue dans le souci de faire progresser les élèves. Chaque enseignant n’est pas l’un ou l’autre, il est tantôt l’un, tantôt l’autre. Mais il faut qu’il ait conscience de la posture qu’il adopte afin de pouvoir adapter ses gestes évaluatifs.
Elle observe qu’il existe trois types de “gestes évaluatifs” qui dépendent de la posture qu’a choisi – délibérément ou non, mais il vaudrait mieux que ce le soit – d’adopter l’enseignant. L’objectif de ses recherches est de permettre à tout enseignant de conscientiser ces gestes professionnels (qui sont parfois des micro-gestes) et les effets qu’ils produisent sur les élèves.
On pourra voir in extenso la conférence d’Anne JORRO ci-dessous pour plus de précisions :
[contentblock id=38 img=iframe.png]Anne Jorro: “Des compétences aux gestes évaluatifs des enseignants” from HEP Vaud on Vimeo.
Pour clore cet article (et votre lecture), nous vous proposons ces six vignettes qui en reprennent les idées les plus importantes :