Apprendre à lire – quels enseignements garder de la conférence de Gérard Chauveau ?

Lundi 15 octobre 2018, Gérard Chauveau était présent dans la circonscription à l’invitation de la municipalité d’Hazebrouck pour lancer les dispositifs Coup de pouce Clé et Coup de pouce Cla. La particularité de ces deux actions, c’est que ce sont des actions périscolaires, et qui n’empiètent donc pas sur le temps de l’école. L’idée étant bien de compenser les pratiques familiales manquantes dans l’environnement des élèves fragiles. Tout en agissant également auprès des familles elles-mêmes, afin qu’elles puissent à leur tour, apporter un coup de pouce aux enfants dont elles ont la charge.

M. Chauveau a donné une conférence à destination des personnels impliqués dans ces dispositifs : éducateurs, animateurs de la commune, enseignants, élus…

On ne présente plus ce chercheur infatigable dont le souci est la lutte pour l’équité scolaire. Durant deux heures, il a résumé les résultats de ses recherches concernant l’acquisition du savoir lire et celle du langage oral.

Apprendre à lire

Aujourd’hui, on estime à 20% le nombre de mauvais lecteurs à l’entrée en 6ème.

Lire est une activité complexe. Apprendre à lire, c’est apprendre 5 choses :

  1. Le code, la mécanique de la langue et son fonctionnement. C’est un apprentissage nécessaire mais non suffisant. Il permet de déchiffrer les signes alphabétiques et de les transcrire en sons. (Apprentissage linguistique)
  2. Le savoir-lire : être capable, après déchiffrage, de comprendre un message écrit, silencieusement (dans sa tête). Mais aussi être capable de lire à voix-haute, bien que cette compétence ne soit pas fondamentale ni première. (Apprentissage technique)
  3. Le savoir-écrire : c’est-à-dire à communiquer par écrit. (Apprentissage technique)
  4. La pratique du livre, cet objet culturel à part. (Apprentissage culturel)
  5. La pratique de la lecture et de l’écriture dans tous les domaines, dans toutes les disciplines, comme porte d’entrée, vecteur et outil pour faire des mathématiques, des sciences, de la géographie, du sport… C’est ce que G. Chauveau appelle la pensée écrite. Elle permet de mieux comprendre, de mieux analyser, les savoirs qui nous sont transmis. C’est le rôle des cahiers de science et autres cahiers d’observation que l’on utilise déjà en maternelle. C’est aussi – au musée, par exemple – se rendre compte que l’on ne peut avoir accès au sens des œuvres que l’on voit sans une notice écrite. C’est à dire qu’entrer dans l’écrit, c’est modifier la façon dont on pense le monde. (Apprentissage intellectuel)

L’acquisition de ce que G. Chauveau appelle l’Ecrit (ces cinq apprentissages concordants mais différents) est toujours une priorité nationale. On pourrait s’en étonner sachant que 80% des français (au moins) sont lecteurs, sachant qu’il existe en France un réseau important de lecture publique… C’est surtout l’affaire de l’école (maternelle et élémentaire), mais c’est aussi celle d’autres acteurs, parmi lesquels sont les parents.

L’observation de l’apprenti lecteur, enfant, nous enseigne que les bons lecteurs sont souvent ceux qui sont entrés dans l’écrit bien avant le CP, ils l’ont souvent fait au sein de leur famille. Avant que ne se pose la question de l’apprentissage (l’enseignement) de la lecture, l’enfant est déjà un apprenti lecteur, dès qu’il entre en littérature. C’est l’objet de la lecture partagée (qui ressemble peu ou prou et qui peut venir compléter l’histoire du soir racontée par papa ou maman…) où un lecteur confirmé et un apprenti lecteur partagent une lecture commune. Ce serait un tort de croire que lors de cette activité, un seul des deux est en train de lire ! Surtout si la lecture est suivie d’un moment de langage. Le premier rôle de l’école maternelle serait de s’inspirer de cette pratique familiale pour – éventuellement – les suppléer. Beaucoup de maîtres le font sans que cela soit généralisé.

L’observation de l’apprenti-lecteur, et notamment quand il sort de l’école (de 16h30 à 18h30), nous apprend que chaque soir, il est en moyenne 35 minutes en contact avec de l’écrit (leçons, poésie à apprendre, lecture autonome, lecture avec un adulte, observation d’un grand frère en train de faire ses devoirs, ou d’un parent en train de lire…) Dans certaines familles, ce temps est voisin de 0 minutes… C’est là que se creusent les écarts… C’est donc là que le dispositif Clé se propose d’agir.

Les recherches de G. Chauveau portant sur la population ouvrière montrent que 33% des enfants n’arrivent pas à apprendre à lire alors que 33% y parviennent très bien. Quelle est la différence entre ces deux groupes ? La présence des parents dans le temps périscolaire (en moyenne, 35 minutes de contact avec l’écrit – c’est une donnée observée par M. Chauveau). Le dédoublement des CP en REP et REP+, ne pourra changer la donne (sociologique) que s’il s’intéresse aussi à ce qui se passe pour l’enfant après l’école.

L’enfant a trois temps d’apprentissage de la lecture : le temps scolaire, le temps périscolaire (durant lequel il n’arrête pas d’apprendre à lire) et le temps extra-scolaire (les vacances scolaires, durant lesquelles on ne sait pas ce qui se passe). Pour beaucoup, les vacances sont synonymes de vide où il ne se passe rien en terme d’apprentissages (d’acquisitions). Les évaluations prouvent qu’il y a une déperdition des acquisitions pour les enfants des familles où le contact avec l’écrit est rompu durant les vacances. C’est une donnée à prendre en compte, d’autant que le temps d’enseignement est passé de plus de 200 jours à 144 jours aujourd’hui.

D’une manière générale, l’enfant est mis en difficulté quand il n’y a aucun lien cognitif entre l’école, la famille et l’enfant, aucun point commun.

On s’aperçoit que les difficultés de compréhension apparaissent dès la maternelle où des histoires qui paraissent très simples posent des difficultés. La compréhension s’enseigne, elle peut s’enseigner à part de la lecture.

Apprendre à parler

C’est l’autre grande affaire de l’école. Même si ce n’a pas toujours été le cas.

L’école s’est rendu compte tardivement que la maîtrise de la langue orale est le premier apprentissage, c’est la clé et le pivot de tous les autres. Pour lire (et comprendre) il faut que l’enfant soit capable de reconstruire (dans sa tête), de reformuler (à l’oral, pour un tiers), un écrit qu’il a déchiffré. Cela signifie qu’il doit en être capable également à l’oral ! Est-ce le cas pour cet enfant de cinq-six ans ? Si ça ne l’est pas, il y a fort à parier qu’il soit en difficulté pour devenir lecteur.

Autrefois, on imaginait que l’apprentissage de l’oral se faisait naturellement (n’est-ce pas le propre de l’homme que de savoir parler ?).

Les acquisitions de l’enfant dans le domaine de la langue sont souvent étonnantes, en quelques mois, il découvre et acquiert plusieurs centaines de mots ! Malheureusement, ces acquisitions sont très inégales (de un à dix) et, si l’on considère les enfants de CP elles ne sont pas terminées, loin s’en faut !

Et puis, on s’est aperçu que cette acquisition n’est pas si naturelle que cela. Alors que vers 5-6 ans, le développement du langage connait une amélioration importante, l’enfant découvre aussi qu’il n’y a pas qu’un langage, mais plusieurs.

L’école a son langage, avec des règles de fonctionnement propres. Certains se refusent à utiliser les règles nouvelles ce nouveau langage. C’est un langage d’un type différent, qui ne sert plus seulement à exprimer des besoins primaires (j’ai faim,  j’ai soif, je suis fatigué…) mais aussi à dire des choses, à comprendre le monde, à extérioriser des découvertes.

Un autre langage apparait aussi, celui qui permet de parler des choses de l’école et d’exprimer la pensée. Ce langage est un outil pour penser.

Troisième forme de langage qui apparait vers 5-6 ans, c’est celui de l’écrit. Il est forcément différent du langage oral.

Ces trois formes de langage ne sont pas pratiquées dans toutes les familles. Le coup de pouce CLA est là pour pallier à ce manque qui pourrait être dommageable à la réussite scolaire de ceux qui n’en bénéficient pas à la maison. Une séance de coup de pouce CLA se décompose donc ainsi :

  • 15 minutes de goûter-parler
  • 3 minutes de mot du jour
  • Trois petits jeux avec la langue : devinette, charade, rimes…
  • Raconter une histoire à partir de une ou plusieurs images
  • Passer du langage oral au langage écrit
  • Lecture offerte.

Le dispositif est proposé à des enfants identifiés par le maître et essaie de mettre en route la famille avec l’enfant. Trois indicateurs permettent d’orienter les enfants vers le club de langage : enfants muets en classe, enfants ayant un niveau de langage restreint (les grosses difficultés relevant du médical), enfants francophones mais qui, à la maison, entendent aussi une autre langue que le français.

Les dispositif coup de pouce Clé et Cla vont être proposés à toutes les écoles de la commune d’Hazebrouck, les enseignants intéressés pour en devenir les animateurs seront alors payés par la municipalité et se verront aussi offrir une formation dédiée qui se déroule hors temps scolaire.